Rêves de confins
La psychanalyse est l'une des rares destinations d'une parole pleine. Elle est un lieu de conquête où questionner un désir mal engagé, un sentiment d'inabouti, d'impasse voire de ratage. Elle est un espace subversif qui, dans l'adresse à l'analyste, permet de s'émanciper en renouvelant son regard, d'envisager de manière inédite ce que l'on traverse, un devenir et des perspectives jusque là vécues comme impossibles, interdites, inaccessibles. Pour autant, ce mouvement de dégagement n'en fait pas une autre scène qui serait à l'abri du monde, en tant qu'elle-même prise dans le monde autour. La psychanalyse, fille de son époque, est donc, comme elle, en constante transformation. Une psychanalyse vivante et actuelle dans un monde vivant.
En 2020, Hervé Mazurel, historien des sensibilités, et Elizabeth Serin, psychanalyste, désireux de réouvrir le dialogue entre sciences sociales et psychanalyse, créent le laboratoire de psychanalyse nomade. Au principe de cette collaboration, le désir partagé d'articuler pleinement, comme y invitait Cornelius Castoriadis, la psyché individuelle au social- historique. De là, la nécessité de s'installer aux confins des disciplines, d'explorer leurs bords et leurs no man's land frontaliers, afin de les éclairer depuis ce point. C'était en Mars, le premier confinement s'annonçait. Ils décident alors de collecter des rêves produits lors de ce confinement, une collecte nommée Rêves de confins, cherchant à réinscrire les rêves individuels dans les cadres culturels et sociaux qui les rendent possibles, voies d'accès privilégiées à des strates de vécu intime inaccessibles autrement, ils peuvent devenir une sorte de révélateur culturel des sensibilités et des imaginaires collectifs.
Ce glanage de rêves a été mené en ayant à l'esprit, bien sûr, l'ouvrage de Charlotte Beradt, Rêver sous le IIIe Reich, fruit d'une collecte de près de 300 rêves, étalée de 1933 à 1939 - qui est parvenue à recueillir des rêves de toutes les classes sociales tout en faisant acte de résistance au régime hitlérien.
Cette cueillette a, elle, donné lieu à un article intitulé Rêves de confins. Esquisses sur la vie onirique au temps du Covid 19 et du confinement, entretien d'Hervé Mazurel et Elizabeth Serin avec Jacqueline Carroy, paru en Mai 2021 dans le N° 108 de la revue Communications au Seuil ainsi qu'à une restitution à la Bibliothèque Nationale de France, lors d'un colloque initié par Jérémy Chaponneau, responsable du département psychologie et sciences sociales, intitulé rêves de confins, que l'on peut visionner ici:
https://www.bnf.fr/fr/agenda/reve-de-confins
En 2021, l'initiative se transforme en Laboratoire du temps qui passe, un groupe de travail qui réunit psychanalystes et chercheurs en sciences sociales, notamment histoire, sociologie et anthropologie. Ce collectif de recherche a pour perspective de réouvrir le dialogue entre ces disciplines dans ces temps où de nouvelles formes de résistances apparaissent, à la fois à la psychanalyse, mais également de la psychanalyse, relançant ainsi la question de sa transmission, de sa transformation et de sa place dans le social.